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L’avenir incertain de la Société générale au Maroc

La Société générale s’apprête-t-elle à quitter le Maroc ? La question agite les milieux économiques du royaume alors qu’une rumeur fait état depuis le 5 mars d’un rachat des parts du groupe bancaire français dans la Société générale Maroc, où il détient près de 58 % du capital. L’acquéreur pressenti ne serait autre que Moulay Hafid Elalamy, l’ancien ministre marocain de l’industrie et du commerce (2013-2021), actuel patron de la société d’investissement Saham.
La presse marocaine évoque la signature d’un accord de rachat pour un montant de 8 milliards de dirhams (730 millions d’euros). Selon Le360, un média réputé proche du palais, la Société générale aurait mandaté la banque d’affaires Lazard pour mener à bien l’opération, qui serait actuellement soumise à l’approbation des autorités marocaines.
Contacté par Le Monde, l’entourage de Moulay Hafid Elalamy n’a pas donné suite. La Société générale se refuse, quant à elle, à « commenter les rumeurs ». Lors des cessions précédemment réalisées, elle n’avait communiqué que lorsque des accords avaient été signés. Ce fut le cas à deux reprises en 2023 quand le groupe avait annoncé la vente de six de ses filiales en Afrique : au Burkina Faso, en Guinée Equatoriale, en Mauritanie et au Mozambique, ainsi qu’au Tchad et en République du Congo, les deux seuls pays africains où ces cessions ont été menées à leur terme, précise la banque.
Si elle se confirme, la vente de la Société générale Maroc interviendrait alors que le groupe bancaire français s’est attaqué depuis plusieurs années à la revente de son portefeuille d’activités à l’étranger. Un recentrage, mené à coups de cessions de ses participations, d’abord en Europe de l’Est puis en Afrique, qui s’accompagne aujourd’hui d’un plan de réduction des coûts – 1,7 milliard d’euros à l’horizon 2026 –, à quoi s’ajoutent des milliers de suppressions de postes prévus en France.
A la recherche d’une meilleure valorisation que celle que lui accordent les marchés boursiers, comparée aux autres banques françaises cotées, la Société générale se refuse à évoquer de nouvelles cessions, mais sans être tenu par « aucun tabou », prévient une source interne. En juin 2023, le groupe indiquait avoir ouvert une « réflexion stratégique » sur sa participation au capital de sa filiale en Tunisie, l’Union internationale de banques (UIB), précisant alors vouloir « concentrer ses ressources sur les marchés où il peut se positionner parmi les banques de tout premier plan ».
La perspective d’un rachat de la Société générale Maroc ne surprend guère les analystes marocains interrogés. Tous décrivent une banque bien gérée, la quatrième du pays, dont le produit net bancaire a dépassé en 2021 les 5 milliards de dirhams, mais pointent un potentiel inexploité, en partie lié aux contraintes des règles prudentielles européennes, plus astreignantes, qui pèsent sur une filiale surcapitalisée par rapport à ses homologues marocaines.
« La réglementation européenne ne lui permet pas d’utiliser ses fonds propres de la même façon que les banques marocaines », résume un spécialiste du marché bancaire africain. Un constat qui fait écho à la nouvelle stratégie du groupe français, dévoilée en septembre 2023 par son directeur général, Slawomir Krupa. Celui-ci avait alors mis l’accent sur une allocation plus efficace de ses capitaux propres et une meilleure gestion des risques.
Cet arbitrage entre risque et rentabilité avait été au cœur du désengagement africain du principal concurrent de la Société générale, BNP Paribas, qui a cédé six de ses filiales sur le continent depuis 2020. L’hypothèse d’une revente de la Banque marocaine pour le commerce et l’industrie (BMCI), dont BNP Paribas détient plus de 66 % du capital, agite de manière périodique les milieux économiques marocains.
La personnalité de Moulay Hafid Elalamy, qualifié par la presse marocaine de « loup de la finance », contribue à nourrir les spéculations sur l’avenir de la Société générale Maroc. « Cela fait des années qu’il cherche à acquérir une banque », glisse un haut cadre d’un établissement concurrent. A plusieurs reprises, l’homme avait été pressenti pour reprendre la participation de la famille Benjelloun dans Bank of Africa, mais sans que l’affaire ne se conclue. La vente en 2022 du Crédit du Maroc, filiale du Crédit agricole, à Holmarcom, propriété de la famille Bensalah, avait réduit un peu plus les possibilités de rachat dans le secteur bancaire.
Les commentaires vont désormais bon train sur le cap que pourrait prendre la Société générale Maroc si elle passait sous le contrôle de Moulay Hafid Elalamy. L’ancien ministre a réalisé par le passé plusieurs « coups », dont la cession en 2018, pour un milliard de dollars, du pôle assurance du groupe Saham. Trois ans plus tard, il empochait 330 millions de dollars à l’issue de la vente en bourse d’une partie de ses titres dans Majorel. Le rachat, en 2023, de cette entreprise luxembourgeoise de gestion de la relation client par Teleperformance pour 3 milliards d’euros a encore assis sa réputation de « machine à cash ».
Son offre présumée pour acquérir la Société générale Maroc est jugée bonne par les analystes, correspondant à l’équivalent de ses fonds propres et plus de dix fois son résultat net. Libéré des entraves de la réglementation européenne, l’homme d’affaires aurait désormais les coudées franches pour augmenter la rentabilité et les parts de marché de la banque – estimées par plusieurs sources bancaires à 8 % sur les dépôts et crédits –, avec en ligne de mire une possible introduction en Bourse, prédisent des observateurs.
Un accord entre la Société générale et Moulay Hafid Elalamy interroge cependant sur l’avenir des seize filiales, outre la banque, détenues par le groupe au Maroc. Parmi elles, une compagnie d’assurances, une entreprise de leasing et une société cotée de crédit à la consommation. L’ancien ministre reprendrait-il la totalité de ces activités, tout comme l’intégralité des portefeuilles clients et l’ensemble des collaborateurs ? S’il a revendu sa filiale bancaire, le Crédit agricole a, lui, conservé sa participation dans la société de crédit Wafasalaf. La Société générale indiquait en 2023 employer environ 4 000 salariés au Maroc, où elle compte près de 1,5 million de clients.
Alexandre Aublanc(Casablanca, correspondance)
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